Dossier «L'Affaire du RER D» — Le Monde Fermer la fenêtre

A la Une

L'éditorial du Monde
Le civisme en berne
LE MONDE | 12.07.04 | 12h28

LA RÉPUBLIQUE parle bien. Il y a encore quelques jours, le président Jacques Chirac disait avec force ce qu'il pense de l'antisémitisme et du racisme tels qu'ils prospèrent en France : "Face au risque de l'indifférence et de la passivité du quotidien, j'appelle solennellement chaque Française et chaque Français à la vigilance. Je les appelle au sursaut. (...) Je les invite à toujours rappeler à leurs enfants le danger mortel du fanatisme, de l'exclusion, de la lâcheté et de la démission devant l'extrémisme."

Ces mots touchent au cœur, mais le réel, vendredi matin 9 juillet, s'est brutalement manifesté dans un train de la banlieue parisienne sous la forme d'un fait divers qui serait ordinaire et lamentable comme tant d'autres s'il ne s'était pas coloré d'antisémitisme. Une jeune femme et son bébé ont été volés, puis agressés et insultés parce que tenus pour juifs. D'un coup, la réalité venait dissiper tous les beaux discours dans un terrible télescopage.

La République se révélait provisoirement impuissante à faire taire une parole antisémite libérée du tabou hérité du génocide des juifs durant la seconde guerre mondiale. Dans ce contexte, l'expression par le chef de l'Etat de son "effroi", appuyée par l'indignation de la classe politique, paraît nécessaire et juste même si la prise de conscience du mal qui ronge la société française est bien tardive.

Présent et entretenu de manière endémique au sein d'une extrême droite minoritaire, on sait que l'antisémitisme est devenu un foyer dangereux dans certaines populations immigrées travaillées par des prédicateurs musulmans radicaux.

Les chiffres ne disent pas tout, mais ils sont éloquents. Un récent rapport de la direction centrale des renseignements généraux indique que sur 630 quartiers surveillés la moitié serait "ghettoïsés" ou en voie de l'être, manifestant des signes inquiétants de repli communautaire. Une majorité des actes racistes constatés sont de nature antisémite : 60 % en 2002, 72 % en 2003, selon la commission des droits de l'homme. Un bilan très négatif, qui appelle effectivement une forte réaction.

Il s'agit d'une course contre la montre. Il faut souhaiter que les ministres de l'intérieur et de la justice manifestent autorité et fermeté en cette matière. Il faut surtout espérer que le plan de cohésion sociale imaginé par Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, ne se déploie pas trop tardivement et de manière trop fragmentée. La panne de civisme et la panne de l'intégration à la française doivent être lucidement constatées et combattues.

Rien n'est perdu. La demande d'une restauration des valeurs de la République et d'un respect des personnes et des biens est considérable, comme on l'a encore constaté avec la marche des parents à Colmar, ce week-end. Cinq mille personnes ont exigé dans le calme, après les assassinats de jeunes filles en Alsace, davantage de moyens pour la justice. L'incantation et la dénonciation ne suffisent plus. L'heure est bien au sursaut.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 13.07.04